GUERRE 14 /18 correspondance Emmanuel LEMAIRE

Dinan, le 4 novembre 1914

       Chére Jeanne, chére mère, bien cher Henri

            Selon votre désir, je vous envoie me lettre quotidienne, non que j'ai quelque chose à vous communiquer aujourd'hui. C'est la vie monotone de l'hopital, à part encore un détachement de blessés guéris qui vient de partir à St Malo. Il parait que ce soir ou demain; on va en recevoir des nouveaux. Quand donc arrivera le dernier détachement de ces malheureux qui, pour certains, vont trainer une vie malheureuse et de souffrance perpétuelles ? Et direque d'ici peu, il faudra sans doute aller  affronter de nouveau les balles et les obus... Enfin j'ai confiance et vous me dites que nous nous reverrons, c'est l'essentiel ; et puis cette maudite guerre ne durera pas éternellement ; et s'il faut en croire les journaux, ils doivent etre bientot au bout de leur corde. Fasse le ciel qu'ils disent vrai et bientot, on puisse se réunir pour cette fois ne plus se quitter. Dans vos lettres vous ne parlez jamais des soldats du pays, donnent-ils de leurs nouvelles ? Pauvres gars de l'active, ils doivent déjà en avoir enduré de cruels, enfin eux sont jeunes et célibataires ! Vous m'en parlerez dans votre prochaine lettre. Donnez moi aussi l'adresse de Mr le curé de Fortel, je lui enverrai une carte. Alfred a-t-il donné de ses nouvelles ? Je lui ai écrit, il ne m'a pas encore répondu. J'espére que toute la famille se porte bien, et que le petit René pousse mieux maintenant. Avez-vous pensé à m'envoyer le paquet que je vous demandais ? Vous ne m'avez pas dit combien d'hectolitres avait fait le blé Walcom au bois Platel. Et si le tréfle avait fait du grain. Vous n'aurez pas probablement d'engrais à mettre au pont ; enfin, dans un an, pour l'avoine on avisera... Je suis étonné que vous n'ayez pas encore reçu vos réquisitions ayant vu sur le journal qu'on payait la moitié. A demain, votre fils, mari et père qui vous embrasse fort.
                                        EMMANUEL

Voilà donc Jules Flory, prisonnier lui aussi, mais il n'a fallu de rien que je le sois le jour de mon arrivée sur le front. Heureusementque je sais encore courir et que je leur ai brulé la politesse. Mr Marmus, le marchand de Rougefay a du en assomer 4 à coup de crosse pour se dégager.Tout n'est pas rose dans le métier que nous faisons en ce moment. Ainsi Emile et Henri sont aussi prisonniers ? Si au moins, ils étaient traités comme les prisonniers que nous voyons tous les jours.

 

Dinan, le 6 novembre 1914

           Chère Jeanne, chère mère et cher Henri

        Je viens de recevoir vos lettres du 31 et du 1° novembre. Elles se sentent forcement du jour de deuil de la Toussaint, surtout de celui de cette année. Nous sommes allés au cimetiére de Dinan dire une priére à nos camarades qui y sont alignés déjà par dizaines et je vous assure que le coeur vous crevait malgrés vous et cependant vous savez si je suis ferme. Enfin telle était leur destinée.
  Ce matin, à la visite, le major m'a porté sortant ; demain donc, probablement, je partirai pour St Malo afin de passer la contre visite mardi ; là, on jugera si je dois aller en convalescence ou rejoindre le dépot. Ce qui est certain, c'est que j'aurais passé ici un mois tranquille, n'ayant qu'à louer les bonnes soeurs des bons soins qu'elles m'ont procurés, ce dont je me souviendrai toute ma vie. Je le disais d'ailleurs à ma mère, soeur Gilles, qui me pansait derniérement. Si je suis blessé de nouveau, je ne demande qu'une chose, c'est d'étre renvoyé aux Salesiens. Je vous écrirai de St Malo le résultat de la visite, mais je n'ai guére espoir, car une circulaire du ministére a supprimé derniérement les convalescences. Enfin, comme Dieu voudra. Vous pouvez m'écrire toujours à la meme adresse tant que je  vous en ai donné une autre ; elles me parviendront avec quelques jours de retard mais elles me parviendront. Vous me dites qu'on parle de nouvelle réquisitions, je m'en doutais, heureusement que vous etes avancées, alors vous devrez bien atteler la pouliche et, avec la douceur et beaucoup de précautions, Gout doit en venir à bout. Adieu, mes biens chers, demain, je vous enverrai une carte. Ecrivez moi toujours, souvent cela réconforte.
           Votre fils, époux et père qui ne fait que penser à vous.
                    EMMANUEL

Bien des choses à tous ceux qui parlent de moi.

 

Dinan, le 7 novembre 1914

      Je ne pars pour St Malo que lundi. Un détachement de blessés est cette nuit pour nous remplacer. Pauvres gars ? Ecrivez moi toujours ici tant que je vous ai donné une autre adresse en ajoutant 250° d'infanterie. Je vous écrirai encore demain de Dinan, puis vous enverrai une carte de St Malo. J'espére que vous étes en bonne santé. Je me suis pesé à la gare (58 kg), vous voyez que je n'ai pas encore trop souffert de la guerre. D'ailleurs, je suis bien remis depuis que je suis ici ; je vous embrasse bien fort.
            EMMANUEL

 

Dinan, le 8 novembre 1914
    
       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri,

      C'est l'avant derniére fois que je vous écrit de Dinan. Ensuite, sans doute, vous serez quelques jours sans nouvelles ; dans ces allées et venues, il n'est pas toujours facile d'écrire. Enfin, je ferai mon possible pour vous envoyer un mot. Je viens de recevoir une carte d'Alida me disant qu'Augustin, cependant dans une section de mitrailleuses, avoir été en Belgique et dans la Marne, est toujours bien portant. Elle m'envoie son adresse. Quand je serai fixé sur ma nouvelle adresse, je lui écrirai. Je vois que vous aussi, vous souffrez de cette maudite guerre, que non seulement vous ne pouvez vous procurer ce dont vous avez besoin, mais qu'on va vous enlever et Léon (qui, s'il est pris , n'ira pas au feu) et Marmotte (heureusement que vous étiez en avance), et tout cela n'est rien auprés des pays ou ces cons de boches sont passés, il faut l'avoir vu pour le dire. Toujours, j'aurais l'horrible vision devant les yeux... Vous me demandez ou j'ai été blessé, c'était à l'attaque du Quesnoy en Santerre dans la Somme prés de Roye et de Rosiéres, dans une charge à la bainnette ; leurs mitrailleuses nous fauchaient à 20 métres et, cependant, nous leur avons repris ce pays comme on leur reprendra tous ceux qu'ils ont pris. Je suis désolé d'apprendre que Gout n'est pas raisonnable, ce n'est d'ailleurs pas dans son naturel et puis, il sait qu'il n'a que des femmes pour le commander. Je remercie beaucoup Henri de sa carte et suis bien content de savoir qu'il est bien sage et apprend bien ses leçons de catéchisme. Qu'il apprenne aussi les villes d'Alsace Lorraine, bientot, elles seront de nouveau Françaises. Vous souhaitez bien le bonjour chez Eugénie, Mr et Mme Devaux, la famille Dhersigny, Mr Leclercq etc... Quant à vous, je vous embrasse bien fort tous les trois.
                     EMMANUEL

J'ai encore le bonheur d'assister à la messe aujourd'hui dans la chapelle de l'hopital. Jamais non plus, je n'oublierai ce lieu bénit et, combien demain, je remercierai les bonnes soeurs de leurs soins.

 

Dinan, le 9 novembre 1914

         Mes biens chers,
      
  Cest la dernière fois que je vous écrit de Dinan, nous prenons le train à deux heures pour St Malo et de là, fort probablement, étre envoyé au dépot. Le major qui est bien bon pour moi, a mis sur ma feuille en plus de ma blessure (rhumatisme aigu) ayant trouvé que je trainais légèrement la jambe. Nous venons de remercier les bonnes soeurs de leurs bons soins. Jamais, je n'oublierai les Salésiens. Elles aussi vont prier pour nous. Je viens de recevoir une lettre de Jeanne, datée du 20 septembre, envoyée à Périgueux. Il parait que j'étais porté disparu. Quant à la lettre recommandée, ils ne me l'ont pas renvoyé. Il faut espére que je pourrai l'avoir en arrivant. Demain, je vous écrirai le resultat de la visite. Bien des choses à tous et à vous, mes meilleurs baisers.
                   EMMANUEL

 Octave vient de m'envoyer une carte. Elle est datée du 1°octobre. Jugez!!!!

 

Dinan, le 10 novembre 1914

    Bien chers,

  Au moment de partir pour St Malo, je reçois la carte de Jeanne, m'annonçant mon paquet ; il n'est pas encore arrivé et je m'en vais... Si c'était un paquet postal, il me suivrait, mais, par le train, je crains bien qu'il soit perdu. Enfin, je vais tacher de me le faire envoyer par un camarade aussitot qu'il sera arrivé.
   Je remercie Aimée de sa carte et présente à elle et à ses compagnes, mes meilleurs amitiés.
   Maintenant, en route pour une nouvelle destinée, si encore je pouvais avoir quelques jours de convalescence...
     Bien des choses à tous et, si Dieu le veut, peut étre à bientot.
     Votre dévoué.
                     EMMANUEL

 

Périgueux, le 16 novembre 1914,

         Chère Jeanne, chère mère, cher Henri,

    Me voici revenu dans le midi. En aurai-je vu du pays. Certes, je vous assure que si on était pas dans un temps pareil, on pourrait en raconter, en rentrant. Je suis changé de compagnie et versé à la 32° Cie ou, comme connaissance, il y a Debrock de Frévent qui, je crois, ne partira pas au feu. Je suis, en ce moment, exempt de tout service pour trois jours, mais demain, je retourne à la visite et vais me plaindre de mes rhumatismes. J'ai eu le plaisir, en rentrant, de retrouver mon ami Letaille  de Beaumetz. Il est en convalescence dans la compagnie avec deux balles dans le coude droit. Je crains bien qu'il ne pourra plus le redresser. Hier, un de ses cousins de Beaumetz, nommé Bécourt et qu'Aimée doit connaitre est venu le voir. Nous avons passé une aprés midi ensemble.
   Demain, un détachement part pour le front ; il parait qu'il faut pas mal de monde, en ce moment.
  Avez-vous des nouvelles d'Alfred ? Paul Bacquet est venu se faire reformer à Périgueux ; nous avons soupé ensemble et bientot, il doit aller vous porter de mes nouvelles. Il m'a donné 10frs que vous voudrez bien lui rembourser à la première occasion. Avez-vous reçu vos réquisitions ? Je crois qu'on devait en payer la moitié à la fin d'octobre. J'ai appris que pas mal de nos environs, sont déjà ou prisonniers ou morts. Mais quand donc finira cette maudite guerre ? Je crois bien qu'aprés plus de trois mois et demi, on n'est pas beaucoup plus avancé que le premier jour et que, probablement, bientot, il faudra aller de nouveau faire le coup de feu et reparler aux boches, mais cela n'est rien, si on était certain de se revoir aprés. J'espére cependant que Dieu exaucera vos priéres et qu'il nous réunira un jour.
   Labroy Louis qui avait été déclaré inapte, est parti, lui aussi, il ya une quinzaine ; le pauvre garçon en avait joliment peur et avait tout fait pour ne pas partir.
       Léon a-til été pris ; oui, sans doute, car je vois que maintenant, il faut etre bossu ou n'avoir qu'une jambe pour etre réformé. Heureusement que vous etiez au courant de vos travaux.
   On vient de m'enseigner un moyen de correspondre sans que l'on sache rien. Je prends un morceau de bois, taillé en forme de crayon et je mets ce que je ne veux pas que d'autres que vous, lisent. En arrivant, passez de l'encre sur la partie blanche désignée par une croix, par exemple et jetez de l'eau dessus pour la laver aussitot. Vous apercevrez cequi sera écrit. C'est un moyen que je pourrais employer à l'occasion. Retenez le bien et essayez le aujourd'hui.
      Votre tout dévoué qui ne fait que penser à vous.
                      EMMANUEL

 

Boffles, le 18 novembre 1914

    cher Emmanuel,

    Nous avons reçu tes cartes aujourd'hui. Te voilà encore une fois arrivé à Périgueux, pour combien de temps ? Tu n'en sais rien, sans doute. Es-tuencore souffrant de tes rhumatismes ? Alfred a écrit ce matin, il compte partir ces jours ci pour la ligne de feu, et pourtant, il se plaint toujours de son coté. Le major a dit que ce n'était que des douleurs intercostales et il faut partir quand meme... Enfin, il faut espérer qu'à lui aussi, le bon Dieu donnera la santé et le protégera au combat. Il ne se doute pas encore qu'il a perdu son petit garçon, car il a dit dans sa lettre qu'il espére qu'il va mieux.
  Nous avons eu, ce matin la visite de Mr le curé de Fortel. Il est venu dire la messe pour Marius et Maurice Gambier. Nous y avons assisté tous pour prier pour toi. As-tu acheté un tricot et un plastron ? As-tu reçu le mandat que nous t'avons envoyé, il y a une dizaine de jours ?
   Les semailles commencent à diminuer, il ne reste plus que les rutabagas à labourer, seulement, il géle un peu la nuit. Je me demande s'il ne sera pas déjà trop tard pour le Walcom. Enfin, nous verrons et nous ferons pour le mieux. Nous avons vendu quinze à vingt hectolitres de blé à 21 frs. Nous ne savons pas encore quel jour, nous allons le livrer. Nous avons vendu à Malvoisin la vache qui menaçait de devenir taureliére, pas trés cher, 37 pistoles, mais elle n'était pas non plus grasse. Nous vendrons peut-etre encore Degryse la semaine prochaine.
    Aimée, sa famille et ses compagnes sont toujours avec nous sans nouvelles de Mme Dersigny. Cela est bien triste. Aussi, si nous sommes obligés de partir, je ne laisserai personne derriére moi, nous partirons tous. Espérons, cher Emmanuel, que le bon Dieu nous préservera de cette triste chose. Espérons aussi que cette guerre se terminera bientot et que la réunion ne se fera plus longtemps attendre. Henri a commencé à apprendre les réponse de la messe, il les saura vite car il a beaucoup de gout. Il continue toujours à etre sage et me charge de te dire qu'il serait bien content de te revoir.
   Es-tu assez bien couché, cher Emmanuel ? Ne souffres-tu pas trop du froid ? On ne peut songer à toutes ces choses sans frissonner. Ecris nous toujours bien souvent, chaque fois que tu le pourras. De notre coté, nous ferons la meme chose. Lorsque tu seras sur le front, les nouvelles n'arriveront plus réguliérement, tout emblera dur....
Jean-Baptiste de Villers est venu rechercher son poulain dimanche. Il va bientot l'atteler. Nous attellerons aussi le notre. De cette façon, si Artésia vient à manquer, il pourra la remplacer. Le petit est toujours bien gai et caressant. C'est dommage qu'il ne soit pas tout à fait d'aplomb. Il est si privé qu'on a qu'à crier, il arrive tout de suite.
   Nous avons reçu ces jours derniers une carte de Michel. Il est toujours bien portant. Il nous dit avoir reçu de tes nouvelles. C'est toujours lui, il n'a pas l'air de se faire trop de bile. Joseph Haigneré est retourné à l'hopital à la suite de mal attrapé dans les tranchées.
   N'oublie toujours pas d'acheter un tricot et un plastron, car il fait déjà bien froid.
  On est en train de couvrir les silos de betteraves à la rue de Noeux, ensuite, on se mettra à faire le cidre. Il est encore un peu tot mais les pommes pourrissent tellement qu'il n'y aura pas moyen d'attendre.
   Léon est toujours avec nous, mais il s'attend à avoir des ordres d'un moment à l'autre.
     Et maintenant, que te dirai-je encore, cher Emmanuel, bon courage et confiance. Dieu te protégera et tu reviendras bientot sain et sauf. En attendant ce bonheur, nous t'envoyons de gros baisers. Ta mère, Henri, mes parents, Eugénie et ses enfants se joignent à moi pour te dire bien des choses. Mon cousin Alphonse, Jeanne Petit et sa mère t'envoient aussi leurs meilleurs amitiés. Ils ont été contents d'avoir de tes nouvelles par Olympe.
                         JEANNE

 

Périgueux, le 20 novembre 1914

       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Je croyais bien hier partir de nouveau sur le front, le détachement est parti et je suis resté jusqu'au prochain, sera-ce dans huit jours ou dans quinze, je n'en sais rien, enfin je reste toujours ici pour quelques temps.
  En revanche, comme nous ne sommes plus nombreux, il faut prendre la garde tous les deux jours, coucher une nuit sur la paille et l'autre à la belle étoile. Aujourd'hui, je suis de garde à la gare, il m'a semblé voir dans un train qui allait à St Pol, Octave Sinsolieux, je n'ai pu lui parler étant de service assez loin, c'est facheux, car j'aurais pu lui donner quelque chose à vous communiquer. Je n'ai toujours pas reçu vos lettres recommandées et mandat carte adressés à Périgueux, aussi je vous avouerai que les fonds baissent. Je suis vraiment honteux de vous parler de cela sachant dans quelle situation vous etes et puis ensuite, on est si malheureux sans argent. Un soldat de la Cie du front, rentré ce matin m'a dit que j'avais été porté comme tué, à l'appel ; une fois qu'ils n'ont pas fait la betise de vous informer officiellement...
  Depuis mon départ de Dinan, le 12, je n'ai rien reçu de vous. Cela commence à me peser. J'espére cependant, que, dans peu de jours, les lettres reviendront régulièrement ; moi, je vous écris tous les jours ou alors, c'est que je suis occupé.
   Je vous embrasse bien fort et souhaite le bonjour aux amis.
                  EMMANUEL

 

Périgueux, le 23 novembre 1914

      Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
 
    Je n'ai pu vous écrire hier, étant allé à Razac et Monsancieux, tacher de dénicher des gens du pays. J'ai vu d'abord Ernest Vasseur (ch'cocu), arrivé là avec des béquilles. Il m'a donné des nouvelles du pays, m'a dit que Léon n'avait pas été pris... Ensuite, j'ai fait la rencontre de Louis Lemaire, le cousin d'Etrée, pauvre garçon, il parait bien malheureux, surtout qu'il a un caporal qui le brutalise ; il est complétement abruti, aussi, j'ai du parler à son sergent pour fairechanger sa situation. Il a été bien content de me voir et m'a supplié d'aller encore le voir dimanche. Je lui ai promis.
  Vous avez du recevoir la visite de Paul Bacquet ; il a du vous remettre mes carnets de notes. Vous pouvez voir ainsi, pour ainsi dire, jour aprés jour, l'emploi de mon temps. Ne les perdez pas.
  Depuis que je suis rentré à Périgueux, je n'ai reçu aucune lettre à part une de ma tante Hortense qui a passé par Dinan, et dire qu'à l'hopital, je ne passais guére de jours sans recevoir quelque chose, j'espére que d'ici peu, le roulement se rétablira.
       Ici, tous les blessés ont eu une courte permission. J'en ai demandé une aussi qui a été rayé parce que je suis du Pas de Calais. Il faut donc encore faire ce sacrifice et se résigner. Cependant, si j'avais su, je l'aurais demander pour le Tréport et, de là, j'aurais bien trouvé le moyen de retourner à la maison. C'est trop tard, mais à la prochaine blessure, je serai plus malin.
      Je ne compte pas repartir au front avant quinze jours, peut-etre plus, le régiment ayant en ce moment, de l'excédent d'effectif.
    Avez-vous reçu les photos? Etes-vous payées de réquisitions ?Si oui, pensez un peu à moi. Je voudrais bien vous lire aujourd'hui, en attendant, je pense souvent à vous et vous embrasse bien fort.
       Un bonjour à tous. Gros baisers à Henri.
                  EMMANUEL

 

Périgueux, le 24 novembre 1914

   Chère Jeanne, chère mère et cher Henri

  Je viens de recevoir une lettre de Jeanne datée du 19 novembre. Elle m'a fait bien plaisir. Vous me demandez si je suis encore ici longtemps. Je compte partir au premier détachement mais quand, personne n'en sait rien, dans une quinzaine de jours probablement. Je ne souffre pas trop de mes rhumatismes, mais j'ai attapé un bon rhume. Ce n'est pas étonnant aprés etre sorti de l'hopital, avoir eu un bon lit, une chambre chauffée et maintenant, coucher sur la paille avec une seule couverture pas trés épaisse. Comme service, à part la garde, ce n'est pas dur.
   Oui, comme vous dites,pour ne pas partir, il faut ou avoir un membre en moins, ou etre au 3/4 mort; les majors ne sont pas tendres. Je viens d'apprendre par Debrock que Sosthéne Platel serait tué ? C'est malheureux et cependant, n'est-ce pas le triste sort qui nous attend là bas, sur la ligne de feu ? J'ai reçu aussi une carte de Michel. Comme vous dites, il est toujours le meme et ne semble pas se plaindre de son sort. Je vois que maintenant, le commerce commence à remarcher. Si vous pouvez vendre le blé à 21 frs, il ne faut pas se plaindre.
  Je ne crois pas que vous serez obligées de vous évacuez, ce serait vraiment trop malheureux. Les boches sont déjà loin maintenant et ne pourront plus rien faire que de retourner en arriére. C'est tout de meme drole que Mme Dhersigny ne donne pas de ses nouvelles, surtout en sachant ses filles et son mari à Boffles, ce n'est pas comme ces malheureux qui sont venus du Nord dans le midi. Quant à la fin de la guerre, nul ne peut en prédire la fin, je crois, moi, qu'elle sera longue encore et j'envisage quantité de fatigue. Aussi, je prends mon courage à deux mains.
   Je n'ai pas reçu le mandat que Jeanne dit avoir envoyé. Si j'ai bonne mémoire, voilà donc 75 frs que je ne reçois pas. C'est malheureux car les fonds baissent. Aussi, je vous demanderai de bien vouloir m'en envoyer un, le plus vite possible, car les dix frs de Paul commencent à s'user. Conservez toujours vos talons, car il faudra réclamer à la poste. J'ai appris avec peine, la mort du petit Alfred, enfin, c'est un ange il n'aura pas connu les miséres de cette vie.
  A bientot de vos nouvelles et de gros baisers.
                           EMMANUEL

 

Périgueux, le 26 novembre 1914

       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

   Je suis bien content, aprés trois mortels jours d'attente, je viens de recevoir la lettre de maman datée du 21. Je ne sais comment cela se fait que vous m'écrivez tous les jours et que je sois souvent trois jours sans nouvelles. Vous me dites qu'il géle chez nous. Ici, aujourd'hui, il fait un temps splendide, on se croirait au printemps. D'ailleurs, je suis chaudement vetu maintenant, ayant acheté ce qui m'était nécessaire, meme un plastron bien molletonné. Oui, cela est vrai, on donne aux soldats qui partent au front ce qui leur est necessaire, mais à ceux seuls qui s'en vont. Quant à nous ici, on ne veut rien savoir, meme pas remplacer nos chaussures qui sont usées et prennent l'eau. Aussi, malheur à ceux qui sont sans argent. Quant à moi, je vous assure que je voudrais bien recevoir le mandat, car mon porte-monnaie crie misére, ce sera, je l'espére, d'ici quelques jours, d'autant qu'il m'arrive encore aujourd'hui une lettre de Jeanne adressée à Dinan ou elle m'annonce la mort du petit René. Vous voyez comme la poste marche bien, c'est la guerre... Cet aprés-midi, je suis en repos, l'adjudant qui vient du 73° a encore un certain égard pour les soldats de son pays. Aussi, trouve-t-il souvent prétexte pour les exemptés. J'ai simplement deux gamelles à porter aux prisonniers, pour tout travail ; ce n'est pas fatigant, mais combien je préférerais travailler cent fois chez nous et ne pas m'ennuyer ici dans ce chien de pays. On ne parle toujours pas de renvoyer un détachement sur la ligne de feu, il est vrai qu'il ne faut pas longtemps pour nous équiper et nous mettre dans le train, et, malheur à qui manque à l'appel, c'est cinq ans de travaux publics... A ce que je comprends, vous n'etes guére content de Léon. Il faut prendre patience et , aprés la guerre, on tachera de mettre la situation au clair. A ce que je vois, il n'y aura probablement pas de départ ni cette semaine ni la semaine prochaine, aussi, tachez de m'envoyer un mandat afin que je ne parte pas absolumentsans le sou, sur la ligne de feu. Il n'en faut certes pas beaucoup, mais encore, rien n'est rien. Ah, si j'avais ce qui est perdu, je ne vous en demanderais pas, car je vous assure, que depuis que je suis parti, je n'ai dépensé que le strict nécessaire.
  Embrassez bien fort mon Henri pour moi. Bien des choses aux amis et, pour vous deux, mon meilleur souvenir. Votre tout dévoué.
                      EMMANUEL

 

Boffles, le 30 novembre 1914

   Cher papa.
 
 Je viens d'apprendre mon catéchisme et les réponse de la messe, je les sais à peu prés et maintenant, je viens m'entretenir un petit moment avec toi.
  Mardi, j'irai prier Dieu pour toi et pour mon oncle, et aussi, pour le succés final de cette guerre, que je voudrais que tu reviennes bientot, mon papa.
   Comme je le demande au ciel chaque jour, tu verras, mon papa, que Dieu exaucera la priére d'un petit enfant et que le jour de notre réunion est peut-etre plus proche que nous le pensons.
         Adieu, bon courage et une petite lettre bientot.


         HENRI (son fils de huit ans et notre papa)

 

Périgueux, le 3 décembre 1914

        Chère Jeanne, chère mère et cher Henri

     Il y a deux mois, à pareil jour, j'étais dans les tranchées, il y a un mois, à l'hopital, aujourd'hui, comme il pleut, nous sommes au repos dans nos chambres. Hier, on a commencé à nous équiper, cela sent mauvais, quoique le jour du départ ne soit pas encore fixé. Enfin chaque journée passée ici nous rapproche de la paix et je ne sais pas, mais j'ai la conviction, que maintenant, elle ne tardera pas et que pour le mois d'avril, je serai à la maison. Quel beau jour, n'est-il pas vrai ? Lorsqu'on pourra enfin s'embrasser pour ne plus se quitter...
   Hier, j'ai reçu une carte d'Eugénie de St Clément. Elle a du faire un voyage bien fatigant et puis, la séparation a du etre bien dure... Je vais répondre à Alfred.
     J'espére que vous ne vous alarmez plus maintenant, vous voyez bien que les boches reculent. Hier, on a repris Vermelles ou ils s'étaient fortifiés. Certes, on ne recule pas des centaines de mille hommes en deux jours, mais quant à venir chez nous, ils ne le pourront plus. Songez qu'ici meme, la classe 1914 n'est pas encore partie et croyez que ce sont des petits gars qui seront plus agiles que des vieux comme nous.
      J'espérais avoir une lettre de vous hier, mais, comme vous, je suis souvent triois jours sans rien recevoir pour les avoir en bloc ensuite. Mr Dhersigny a-t-il pu regagner son pays ? Oui, sans doute, et a-t-il eu des nouvelles de Mme Dhersigny ? Vous leur direz bien des choses ainsi qu'à toute la famille.
    Léon a-t-il régularisé sa situation et Marcel est-il pris ? L'inconvenient, c'est que vous allez vous trouver seulement avec Gout et comme vous me dites qu'il n'est pas toujours raisonnable !!! Enfin, patientez, c'est la guerre partout ...
   J'attends avant mon départ, une lettre de mon Henri, j'espére qu'il fera tout son possible pour s'appliquer et des petits mots me font tant de plaisir et je les conserve précieusement. Je vais attendre à expédier ma lettre ce midi et je vous dirai ainsi si j'ai reçu vos lettres.
   Rien vu aujourd'hui.
   Ce sera pour demain probablement, mais écrivez moi.
    De gros baisers à vous tous. Votre tout dévoué.
                  EMMANUEL

 

Périgueux, le 5 décembre 1914

      Chère Jeanne, chère mére et cher Henri

  J'ai reçu hier soir la lettre recommandée expédiée probablement de St Léon sur l'Isle par Léon avec le mandat de 50 frs. Merci, il devenait ou plutot, il était devenu nécessaire. Je le toucherai mardi soir. Quant au paquet, je n'ai rien vu et ce qu'il y a d'ennuyeux, c'est que Léon ne me donne pas son adresse là-bas. Je demanderai bien une permission pour St Astier et je saurai son adresse par l'adjudant Chabe, mais St Astier est consigné à cause de la fiévre typhoide et je ne puis y aller ; enfin peut-etre bien qu'il aura la bonne pensée de m'envoyer son adresse exacte et alors, j'agirai.
      Donc, il n'y a plus que Marcel à déménager, cela lui ferait beaucoup de bien d'etre dressé un peu, il verrait ce que c'est que notre vie actuelle, car bien qu'étant en guerre, il faut cependant obeir et vivement. Aussi, je souhaite qu'il vienne faire un petit stage dans le périgord.
   Je vois qu'Aimée vous est toujours aussi dévouée, je l'en remercie beaucoup, c'est une consolation dans votre malheur.
   Hier, nous avons eu inspection du général, journée fatigante, mais aujourd'hui, c'est quartier libre, c'est à dire qu'on peut sortir en ville toute la journée, ce dont peu profite, car, l'argent se fait rare partout.
   J'attends bientot une carte de mon Henri, cela me fait tant de plaisir.
   Vous voudrez bien dire le bonjour de ma part chez Eugénie, elle m'a fait beaucoup plaisir en m'écrivant deux fois de suite et en m'annonçant qu'Alfred allait garder les voies ferrées vers Lyon. Il sera toujours plus heureux que dans les tranchées. Rien de nouveau à signaler ici. Pas de départ. Je vous embrasse bien fort. Votre tout dévoué.
                    EMMANUEL

 

Périgueux, le 6 décembre1914
 
      Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

   Je commence ma lettre en souhaitant une bonne fete à mon Henri, je suis un peu en retard, mais il vaut mieux tard que jamais, et puis, par ces temps, on ne sait plus comment on vit.
  Je n'ai pas encore reçu le paquet envoyé par Léon, cependant, quelqu'un qui n'était pas maman, avait ajouté en bas de la lettre "je t'expédie aujourd'hui (2 décembre) ton paquet pour Périgueux". Je ne sais ou il l'a envoyé, cependant, il y avait l'adresse exacte sur l'enveloppe. Enfin, je vais attendre encore quelques jours et si je le peux, dimanche, je ferai un saut jusqu'à St Léon - une vingtaine de kms ici et là, je saurai le mot de l'enigme.
   Comment allez-vous ? Vous ne parlez jamais de votre santé. J'espére qu'elle est toujours bonne et que vous ne vous sentez pas trop de cet hiver.... Ici, c'est un temps trés humide, il pleut à torrent, sans gelée ; d'ailleurs, il parait qu'il ne géle presque jamais. Aussi, quand bientot, il faudra retourner dans le Nord, nous allons y trouver du changement. Enfin, l'essentiel, c'est qu'en ce moment, je suis en trés bonne santé. Cependant, mes souliers sont troués dessous et j'ai du renoncer à mettre des chaussettes, car je pouvais changer tout les jours. On se fait à tout et je comprends maintenant le systéme de Mme Devaux.
Hier, j'avais pensé me faire inscrire comme mitrailleur. Aprés un stage de vingt jours au camp de la courtine, on rejoint le front. Il parait qu'ils ne sont pas tant exposés que l'infanterie. Enfin, aprés avoir réfléchi, je n'ai rien fait. A la grace de Dieu, je laisse couler l'eau comme elle le veut.
  Avez-vous touché la moitié de vos réquisitions ? Je me suis informé : dans le midi, ils ont touché la moitié, l'autre leur sera payé aprés la guerre. Demandez à M Leclerq, on a du recevoir des instructions à la mairie.
  Je vous quitte encore une fois. Ecrivez-moi donc tout les jours, à la soirée, un mot est vite fait et cela me fait tant de plaisir.
   De gros baisers à vous tous et amitiés à ceux qui parlent de moi. Votre tout dévoué.
                         EMMANUEL

 

Périgueux, le 9 décembre 1914

      Cher Henri
 
  Je pensais recevoir une carte de toi aujourd'hui et probablement que tu ne m'as rien envoyé puisque je n'ai rien reçu, ni de toi ni de tes mamans. Est-ce qu'elles ne m'écrivent plus ? Tu me le diras dans ta prochaine lettre qui, j'en suis certain, ne tardera pas à me parvenir, car tu sais je m'ennuie ici, seul sans avoir de vos nouvelles depuis le 28 novembre. Jespére que tu es toujours bien sage, que tu sais toujours bien tes leçons en classe et que Mr Leclerc est toujours bien content de toi. Tu embrasseras bien toutes tes mamans pour moi comme je t'embrasse moi-meme.
         Ton père qui t'aime beaucoup.
                      EMMANUEL

 

Périgueux, le 11 décembre 1914

   Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
 
  Enfin, ce midi, j'ai reçu la lettre de Jeanne datée du 4. Sans doute qu'elle a pu passer seule, car je n'en est reçu aucune autre, ni meme la carte d'Henri et de Lucile, pas plus que le paquet ; dimanche, je me propose d'aller à Razac éclairer cette affaire là.
  Vous avez raison de travailler pour nos pauvres soldats ; il ne doit pas y faire  trop chaud dans les tranchées et on ne peut faire plus grande charité que de travailler pour eux. Je viens d'apprendre que le 6° bataillon doit partir bientot pour l'Alsace, les pauvres... Je crains bien que bon nombre d'entr'eux oublieront de retourner au pays et dire que cette guerree menace de s'éterniser... Si ce C... de Guillaume savait crever de sa pneumonie, enfin.
  Je vous dirai que d'ici, il m'est trés difficile de vous renseigner sur ce qu'il faut mettre dans les piéces. Il me semble que sur Villers, vous pourriez mettre des verges aprés y avoir charrié un peu de fumier, adoucissez surtout bien la frete. D'ailleurs, vous jugerez. Dans les quatorze mesures, la portion du bas vers Lejeune devra etre fumée aussi, car elle en a bien besoin. En ce moment, les rhumatismes ne me font pas trop souffrir, seulement, comme j'ai complétement les pieds dans l'eau, j'ai peur qu'un de ces jours j'attraperais une bronchite qui me retiendra quelques jours à l'infirmerie. Enfin, on a qu'à me donner des souliers neufs, mais il parait qu'il n'y en a plus au magasin de la compagnie...
  Louis Letalle est sorti du depot des blessés et mis à la 29° Cie, ce qui permet de nous revoir souvent puisque c'est dans la meme caserne. Sa femme est toujours à Sailly Labourse, ça bombarde beaucoup et souvent depuis un mois, elle a du descendre restée dans la cave pendant que les obus descendaient sur sa maison et dans sa cour. C'est vraiment une femme forte qui envoie des lettres admirables de courage à son mari.
    Bien des choses à tous ceux qui parlent de moi, Mr Devaux souffre-t-il encore de ses jambes ? J'en ai vu un agé de trente ans à l'hopital qui avait exactement ce qu'il a. Bien des choses aussi chez Eugénie et pour vous,  mes meilleurs baisers. A bientot une nouvelle lettre. Pas de départ d'ici quelques jours. Votre tout dévoué.
                     EMMANUEL

 

Périgueux, le 14 décembre 1914

       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

   Hier, j'ai reçu la carte de Jeanne, datée du 5 décembre. Je compte bien en recevoir encore une aujourd'hui, tant que je suis à Périgueux. On ne parle toujours pas de repartir et pour peu que cela continue, nous serons encore ici à Noel.
  Hier, j'ai été à Razac. J'y ai vu Léon. Je vous assure qu'il n'en mène pas large et qu'il préférerait etre à Boffles, lui aussi, plutot qu'à Razac. J'ai vu aussi Louis. Il est aide cuisinier et bien à sa place. Je ne peux savoir ou est Lucien et avec cela mon paquet ne m'est pas parvenu. C'est ennuyeux et probablement que je dois en faire mon deuil. Léon m'a dit que Gout n'était guére convenable, faisant trés souvent la noce et vous répondant mal. Quel malheur que cette guerre s'éternise. On y mettrait bon ordre et il faut nécessairement patienter. Avez-vous pu finir de semer les betteraves et les rutabagas ? Ce serait ennuyeux d'etre obligé de dessoler une partie de la piéce. Qu'avez-vous fait de vos betteraves à sucre ? Vous ne m'en parlez plus. J'ai vu aussi hier, Gugusse commissaire, il m'a appris que son frére Martin était mort d'ennui à Tulle. J'en ai vu plusieurs des alentours de la classe 1892 qui sont revenus. Cela fait plaisir de causer du pays. Augustin m'a envoyé une carte, il y a quelques jours, il est toujours dans la Marne et bien portant.D'Alfred, je n'ai plus de nouvelles et ne possède meme plus son adresse exacte. Espérons qu'il n'ira pas au feu.
   Ce soir, la Cie va quitter la caserne Bugeaud pour aller cantonner au lycée. Autant là qu'ailleurs.
     Vous direz bien des choses à tous, en attendant de vos nouvelles, je vous embrasse bien fort. Merci de ta belle carte, ma Jeanne, tu deviens patriote. Un gros baiser à mon Henri. Votre tout dévoué.

             E.LEMAIRE
Quel temps fait-il chez nous? Ici, il pleut averse depuis huit jours.

 

Périgueux, le 15 décembre 1914

  Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Je viens de recevoir une carte d'Alfred m'annonçant qu'il est toujours à St Clément. Je ne sais que croire. Je le pensais prés de Lyon, aux voies ferrées et voilà qu'il me dit qu'il compte partir bientot voir les boches. Il aura donc aussi son tour malgré qu'il me dit n'etre pqs trés fort en ce moment. C'est ennuyeux de partir ainsi, c'est à ne rien comprendre. J'ai su dimanche que Grincourt était réformé. Le veinard. Quant à ici, je crois que d'ici peu, il y aura un détachement. En ferai-je partie ? Je n'en sait rien. Enfin, à la grace de Dieu. Enfin, je suis déjà aguerri, les marmites des boches ne me feront plus autant d'effet. Je vous écrirai d'ailleurs plusieurs fois d'ici là.
  Tous ceux du Pas de Calais qui sont avec moi, reçoivent des petits paquets de tabac en feuilles, coupé bien entendu, entre mouchoir ou lainage quelconque. Ne pourriez-vous pas m'en envoyer un petit par poste recommandée pour Noel ? Je vous assure que je ferai bonne chére et j'espére que vous ne refuserez pas ce régal ? Il n'y a d'ailleurs aucun danger, les paquets pour les soldats ne sont jamais ouverts. Vous n'avez qu'à écrire l'adresse directement sur le linge. Il faudra d'ailleurs toujours agir ainsi lorsque, plus tard, vous m'enverrez quelque chose. A part des fruits et des allumettes, je crois qu'on peut envoyer pas mal de choses.
  Aimée ou Thérèse ont-elles des nouvelles se Mme Dersigny ? Il faut bien espérer que bientot ils seront réunis. Avec cela, cette guerre menace d'etre joliment longue et je crains bien que l'on ne se revoit avant le mois d'Avril. Ce sera terriblement long à attendre. Enfin, une fois qu'on se revoit, la joie sera plus grande. Il faut d'ailleurs en faire le sacrifice, meme forcé. Je termine en vous embrassant, surtout écrivez moi souvent car je crois que beaucoup de lettres ne passent pas. Je vais maintenant écrire à Alfred.
  Bien des choses à tous. Votre mari, fils, et père qui vous aime bien.
              E. LEMAIRE 

 

Périgueux, le 16 décembre 1914

    Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Je viens de recevoir la lettre jumelle d'Henri et de Jeanne, lettre qui m'a fait grand plaisir. Je compte cependant en recevoir une demain qui me donnera plus de details. Alors, vous aussi, vous avez des soldats et pendant quelques jours, vous allez etre ennuyées et cependant, vous pourrez avoir des nouvelles fraiches du front, autres que les canards des journaux. Vous faites bien de bien les recevoir. J'entends dans la mesure du possible afin que ces pauvres gens, pour la plupart, fatigués de la vie des tranchées, se croient de nouveau vivre la bonne vie de famille. Je vois, par le mot de Jeanne, que Marcel est toujours à l'ordinnaire un bel ivrogne et qu'il vous laisse bien souvent son travail à faire. Léon, d'ailleurs, me l'avait dit. En voilà un qui voudrait encore etre à Boffles. Je remercie Henri de son post-sciptum. C'est trés bien, mais puisque le voilà grand garçon, il peut remplacer son papa Manuel, je lui demande de bien s'appliquer à bien faire ses lettres, je parle de son écriture qui n'a pas fait grand progrés, qu'il ne fasse pas attention à la mienne, en ce moment, il faut souvent écrire sur son genou. Nous sommes changer de cantonnement et nous voilà lycéens, c'est à dire que nous couchons au lycée, magnifique monument qui aura besoin, lui aussi, de biens des réparations aprés la guerre, je me demande meme comment les élèves peuvent étudier dans les classes à coté des chambres ou nous couchons sur la paille. Cette nuit meme, nous grelottions bien que nous soyons plus de 120 par chambre.
  J'espére toujours passer la Noel à Périgueux, car on ne parle toujours pas de départ. Je vous tiendrai d'ailleurs au courant de la situation. De mes paquets, pas de nouvelles, j'ai écrit à tout hasard à Lucien à St Léon, mais je n'ai pas de réponse.
  Je termine encore une fois. A quand la derniére ? Hélas, en vous embrassant bien fort et en souhaitant le bonjour aux amis, meme à Charlot, l'ami d'Henri s'il est toujours à la maison. Votre bien dévoué.
             EMMANUEL

 

le 17 décembre 1914: bataille d'Artois du 16 au 20

 

Périgueux, le 20 décembre1914

  Chère mère, chère Jeanne et cher Henri.
 
 Je ne reçois plus de vos nouvelles. Pour moi, tout va bien. J'ai enfin de chaussures qui ne prennent plus l'eau, tout en étant 5 cm trop longues. Si Dieu le permet, car il faut tout remettre à sa seule volonté, je crois pouvoir vous causer une agréable surprise avant 15 jours. En tous cas, c'est vous dire que je ne partirai pas au front avant la Noel, mais c'est encore tellement problématique que je ne crois pas devoir vous en parler. Enfin il faut croire que tout va bien chez nous puisque l'on va renvoyer les mineurs. A quand les cultivateurs qui seraient cependant aussi nécessaire si l'on veut manger du pain, l'an prochain.
  Avez-vous encore des soldats ? Il ne faut pas à cause de cela négliger de m'écrire, car vous savez que peu de lettres passent.
  Je vous embrasse bien fort en attendant, il faut espérer de pouvoir le faire bientot. Votre tout dévoué.
                   EMMANUEL

 

Périgueux, le 23 décembre1914

    Mes biens chers.
  
 Hier soir, j'étais bien content, je pensais vous affirmer que je retournerais la semaine prochaine en permission, seulement, aujourd'hui, je ne peux plus etre aussi affirmatif. Il parait, à la décision, qu'on n'en accorde plus pour la zone des armées. Enfin, tout ce que je peux dire c'est que je ferai tout mon possible. N'allez pas vous fatiguer trop et vous rendre malades. Le soldat est comme on l'apprend. Ecrivez moi toujours souvent. J'enverrai demain une carte à Mr le Curé pour le remercier de la messe. Je vous embrasse bien fort. Votre tout dévoué.
               EMMANUEL

 

                                                                                    1915

 

 

 

le 2 janvier 1915: attaque d'Ypres en janvier 1915 - combat d'Argonne de janvier à juillet 1915

 

 

Périgueux, le 7 janvier 1915

     Bien chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
 
  Je suis rentré aujourd'hui à 4 heures du matin à bon port, fatigué certainement, mais cependant, il a fallu aller au matin à l'exercice, aussi, ce soir, je suis vraiment fatigué. J'espére que vous etes rentrés aussi sans accroc, pas tamponnés par les autobus, ce qui serait plutot désagréable. J'ai appris aujourd'hui qu'il devait y avoir un détachement la semaine prochaine, soit disant pour etre soutien de l'artillerie italienne. Ce sont des "on-dit". Je vous renseignerai d'ailleurs plus tard. Votre tout dévoué.
                    EMMANUEL

 

Périgueux, le 8 janvier 1915

   Biens chers.

 Me voici bien remis de mon long voyage et, ce soir, en compagnie de mes bons copains, nous allons dire bonsoir aux habitants de notre basse-cour. Vos lettres, comme toujours, ne sont pas encore arrivées. Triste service. Encore rien de nouveau à signaler. L'ami Dumetz me charge de vous remercier pour votre passe montagne. Bon courage. Gros baisers à Henri. Votre tout dévoué.
                  EMMANUEL

 

Périgueux, le 10 janvier 1915

 Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
 
 Tout va bien jusqu'à présent, mais je crois ne pouvoir évitez de faire partie du prochain détachement. Cependant, ne vous désolez pas encore, rien n'est encore certain et d'ailleurs la date n'est pas encore fixée.
  Je suis toujours en bonne santé et le rhume que j'avais en permission tend à disparaitre. J'espére que vous aussi, vous vous potez bien et que vous ne vous faitez pas trop de bile avec tout le tracas que vous avez en ce moment. Tout cela passera et aprés les mauvais jours, il faut espérer que nous en aurons de meilleurs...
  En attendant, je vous embrasse bien fort ainsi que tous les parents et amis.
        Votre tout dévoué.
                    EMMANUEL

 

Périgueux, le 12 janvier 1915

   Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

   Nous voici le 12, c'est à dire 6 jours que je suis de nouveau revenu dans mon lycée et cependant, je n'ai pas encore reçu de vos nouvelles et ne sait pas encore si vous etes rentrés à bon port, si un autobus ne vous a pas tamponnés en route. Il faut espérer que tout s'est bien passé et que vous n'avez pas eu trop d'ennuis.
 Avez-vous toujours des soldats ? Vous a-t-on réquisitionné des vaches ? Ici, depuis plusieurs jours, il pleut sans discontinuer, ce qui nous fait rester au quartier à nous ennuyer. Je crains qu'il en soit de meme chez nous et que vous etes bien en retard pour charrier fumier. Enfin vous pouvez toujours battre, ce sera cela de fait. Ensuite, il faudra labourer, ce qui sera bientot fait, n'ayant pas beaucoup d'avoine à semer cette année. Hier, j'ai reçu une lettre de Bocquillon. Il avait fait venir sa femme à Paris, croyant avoir une permission. Il ne l'a pas eue. Aussi a-t-elle du se morfondre, seule, là-bas à l'attendre...
  Nous sommes toujours dans l'attente, on ne parle pas de détachement. Cependant, on nous enseigne la confection des tentes, abris,... Comme on dit ici, cela sent le lard. Enfin, s'il faut repartir, à la grace de Dieu. Il faut bien espérer que m'ayant protégé une fois, il me protégera bien une seconde. Nous avons mangé les poulets. Ils les ont trouvé excellents, aussi me chargent-ils de vous présenter leurs remerciements. L'andouille est entamée, seulement, j'ai constaté avec peine, qu'elle n'était pas seule...
  A bientot de vos nouvelles, et gros baisers de votre tout dévoué.
                  EMMANUEL

Henri joue-t-il encore au soldat ? J'espère qu'à cause de cela, il n'oubliera pas d'étudier courageusement et je l'embrasse bien fort.

 

le 13 janvier 1915: prés de 30000 personnes périssent en Italie lors d'un tremblement de terre

 

Périgueux, le 14 janvier 1915

           Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Je viens de retirer du dépot des lettres, ou elles étaient au rebut : trois lettres datées du 20, 24 et 26 décembre. C'est vous dire comment le service des postes est fait dans notre beau régiment ; porté "inconnu" des citoyens qui sont présents depuis trois mois dans une compagnie, c'est affreux lorsqu'on se trouve à 800 kms des siens desquels on attend impatiemment des nouvelles. C'est presqu'un crime. Toujours est-il que j'attends toujours de vous une lettre depuis ma permission. Aussi, aujourd'hui, l'ennui me prend et alors je vous assure qu'il ne faut pas qu'un périgourdin tente de me bousculer !!! Hier, sans qu'on le sache d'avance, est parti un détachement de 450 hommes, ce sont surtout de jeunes soldats de la classe 1914. Aussi, nous les vieux, on nous a laissé encore ici pour quelques jours, car il n'y a pas à se faire d'illusion, il faudra repartir tous pour aller s'enliser dans les tranchées de la Somme ou d'Alsace. Enfin il faut se résigner et prendre le temps comme il vient ;j'ai bien passé une fois, pourquoi n'en serait-il pas de meme une seconde ?
   Je ne reçois plus de nouvelles d'Alfred, savez-vous s'il est parti au front ? Dites-le moi dans votre prochaine lettre. J'ai reçu un mot de Bocquillon. Il est toujours à St Astier attendant son départ pour les tranchées de l'Argonne puisque le 73° est là, à ce que m'écrit Augustin.
   Voue etes-vous renseignés auprés du notaire au sujet des mutations et pour l'inventaire ? Nous voici dans le 5°mois, il serait bientot temps, mais il me semble que je ne dois pas payer les droits en ce moment étant mobilisé et ne pouvant exercer aucun controle. Renseignez-vous donc d'autant plus que je peux etre tué et alors j'aurai payé sans en jouir et Henri à son tour devrait payer une seconde fois ?
  Je n'ai pas vu Léon dimanche. Peut-etre était-il puni ? Aussi je lui ai envoyé son paquet par un homme sur, un cousin à Letaille, il ne faut pas faire comme Lucien... Je termine, le clairon rappelle en bas pour l'exercice et il ne faut pas manquer, car en ce moment, pour un rien, c'est huit jours de prison. Cette mesure était d'ailleurs devenu nécessaire avec tous les fricoteurs dont était peuplée la Cie.
   En attendant bientot de vos nouvelles, une longue lettre, je vous embrasse bien fort. Un bonjour aux amis. Votre tout dévoué.
                        EMMANUEL
Demain, j'enverrai une carte à Henri.

 

Périgueux, le 15 janvier 1915

    Mon cher enfant.
 
  Comme tu es toujours bien sage, je t'envoie aujourd'hui une belle carte. Continue, mon cher Henri de contenter tes mères et tes maitres. Prie toujours le bon Dieu pour ton père, ton oncle, tes parents qui sont à la guerre et il ne pourra pas faire autrement que de les ramener un jour quand la France sera délivrée des Prussiens.
   Embrasse bien fort maman Jeanne Lemaire et Minie pour moi et reçois les meilleurs baisers de ton père.
                   EMMANUEL
   J'ai reçu la lettre de maman Jeanne du 8 janvier. Qu'elle m'écrive souvent. Dis lui.

 

SUITE.

 

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