GUERRE 14/18 suite 2 correspondance Emmanuel LEMAIRE

Périgueux, le 17 janvier 1915

   Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
  J'ai passé hier sans vous écrire n'ayant absolument rien de sensationnel à vous dire. J'ai reçu la carte de Jeanne m'annonçant sa lettre d'aujourd'hui, je la recevrai probablement ce soir car il me semble que le service du vaguemestre tend à s'améliorer depuis que je l'ai attrapé sérieusement. Ici, toujours rien de nouveau. Des "on-dits" simplement : on parle d'armée de la loire, de régiments partants en Egypte, renforcer les Anglais contre les turcs et finalement, personne ne sait rien. Enfin, quand l'ordre viendra, on le saura. Il parait que la situation n'était pas belle la semaine passée du coté de Soissons mais que maintenant cela va mieux, que du coté de la Bassée, les Boches reculent, que du coté d'Arras, il n'y a pas de changement. Ce que je vois, c'est que cela ne va pas vite et que si cela continue, nous sommes encore là pour plusieurs années, et il n'y a rien à dire, il faut bien patienter. Les plus  malheureux sont encore vous. Pourrez-vous y tenir à avoir tant de turbin ? Prenez-en à votre aise aprés tout, nul ne peut faire que ce qu'il peut.
  Avez-vous commencé à charrier fumier ? Ici, il géle un peu le matin, ce qui me fait présumer qu'il géle plus fort chez nous, ce qui ne serait pas un malheur. Eugénie m'a envoyé une carte hier m'annonçant qu'Alfred est toujours à St Clément. J'ai reçu une lettre de ma tante Hortense. Augustin se bat toujours, il est bien portant. De Michel, plus rien en ce moment. Je n'ai pas encore acheté de gilet imperméable, j'attends le départ, car ce n'est guére possible de laisser quoique ce soit dans la chambrée, on vole tout. Vous me parlez de manteau : oui, cela est pratique aussi, mais plus embarrassant et je crois qu'avec un gilet, cela me suffira. Aimée a-t-elle enfin des nouvelles de son pays et de sa mère ? Embrassez-la pour moi et dites lui de patienter encore un peu, tout espoir n'est  pas encore perdu. J'ai vu dans la liste des prisonniers l'adresse d'Emile Delplanque, j'ai vu aussi un Potier interné au camp 82 à Sennelager. Est-ce Henri ? En tout cas, communiquez à Olympe, elle pourrait essayer d'écrire. Dites lui aussi bien des choses de ma part et qu'elle, non plus, ne désespère pas, car beaucoup de prisonniers n'ont encore pu donner de leurs nouvelles.
  Je termine encore une fois en vous souhaitant bonne santé et bon courage pour supporter cette rude adversité. Votre tout dévoué.
                  EMMANUEL
Un gros baiser à Henri, à Jean, Lucien et Lucile. Bonjour aux amis.

 

le 19 janvier 1915: invention du tube néon par Georges Claude (brevet)

 

Périgueux, le 21 janvier 1915

     Chère Jeanne, chère mère et cher Henri
  Je n'ai pas reçu de vos nouvelles, aussi je viens vous demander si vous allez mieux, etes-vous guéri ? La grippe n'est pas grave surtout si on se soigne un peu, ce qu'il faut faire sans vous occuper du reste. Aprés tout, il vaut mieux songer à soi qu'aux autres. Aussi, j'attends bientot une lettre de vous m'annonçant votre guérison. J'ai reçu ce soir une lettre d'Eugenie, elle me dit qu'elle est toujours à St Clément, Qu'Alfred y est encore mais malade, qu'on a du de nouveau lui faire des pointes de feu. Elle me dit qu'il doit partir bientot, mais je me demande comment on peut le faire partir dans de pareilles conditions pour l'évacuer quatre jours aprés, ce n'est pas possible.
  Cet aprés midi, j'ai eu une agreable surprise, on m'a remis votre paquet expédié par Lucien. Aprés etre venu à Périgueux, il est allé au front ou il m'a cherché en vain, bien entendu. Il est revenu au dépot et c'est un camarade qui me l'a apporté. Certainement, vous pensez bien que le paté est moisi, le beurre rance, mais j'ai le reste, c'est l'essentiel et je vous remercie beaucoup. Me voici fourni en lainage pour la campagne d'hiver et en tabac pour plusieurs jours.
  Demain, j'enverrai une carte à Henri et répondrai à Alfred, car il demande que je lui écrive souvent aussi.

 


   Je termine en souhaitant pour vous une prompte guérison et en vous embrassant bien fort tous.
   Votre tout dévoué.
                   EMMANUEL
  Ici, aprés une journée de gelée, il pleut averse depuis trois jours (lettre écrite avec une plume allant atrocement mal).

 

Périgueux, le 22 janvier 1915

      Ma chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  J'ai appris ce soir avec tristesse que te revoici de nouveau au régime lacté. Décidément, la guerre nous est fatale. A ma permission, je t'avais trouvée un peu maigrie mais je ne pensais pas que tu doives augmenter si vite. Enfin il faut espérer qu'avec quelques jours de régime et les bons soins de ce tout jeune major, tu te remettras vite. Soignes-toi toujours bien et ne fais pas attention si je te souligne ces quelques mots.
  Quant à moi, je suis aussi exempt de service pour quelques jours, j'ai mal à la gorge et un gros rhume. J'ai été à la visite ce matin, on m'a badigeonné la poitrine de teinture d'iode. Je vous assure que le major d'ici n'est pas aussi tendre que celui de Boffles et vous ordonne telle ou telle chose à premiére vue...
  Pas encore de nouvelles du détachement, il faut espérer qu'il mettra encore quelques jours à se former et me laissera guérir.
  Je ne vois plus rien d'interessant à vous dire. Soignez-vous bien, c'est tout ce que je vous demande en ce moment.
   Je remet la carte d'Henri à demain et vous embrasse bien fort.
      Votre tout dévoué.
           EMMANUEL

 

Périgueux, le 25 janvier 1915
 
   Mes bien chers.
 Je pensais recevoir une lettre hier me rendant compte de votre santé. Comment allez-vous ? Jeanne n'est-elle pas plus malade que vous ne me le dites, au moins fait-elle bien son régime ? Vous comprenez qu'étant éloigné de vous, je me mettes mille choses en tete. Il faut cependant espérer que ces suppositions ne sont pas fondées et qu'aujourd'hui, je recevrai un mot m'annonçant que vous allez mieux et que je n'ai rien à craindre. On est déjà assez malheureux ainsi sans que viennent s'ajouter des craintes pour la santé de ceux qui vous sont chers. Aussi, soignez-vous bien et ne vous négligez pas, c'est tout ce que je vous demande.
 Je suis toujours à Périgueux, on ne parle plus du tout de détachement pour le moment. Etes-vous toujours aussi chargées de soldats et ceux que vous avez continuent-ils à etre convenable ? Je vous sais d'ailleurs assez fermes pour les remettre à leur place. Parmi nous, il en est toujours qui sont plus ou moins sérieux et ce n'est guére l'éloignement de leur femme qui les géne. On n'a pas tous le meme caractére.
  Eugénie est-elle rentrée ? Les parents de Jeanne doivent en avoir par dessus la tete avec tout ce fourbi...
   Voici quelques temps que je n'ai reçu de nouvelles de Michel. D'Augustin, j'en ai eu hier par un soldat du 272°, arrivé blessé à l'hopital de Périgueux, il se porte toujours bien. Olympe a-t-elle ecrit à l'adresse que je lui indiquais ? Elle ne risque toujours jamais rien.
  Je termine, il faut partir en marche, je vous embrasse bien fort et attend bientot une lettre de Jeanne. Bien des choses aux parents et bonjour aux amis.
                      EMMANUEL
  Avec cela, les événements ne se précipitent guére. Je crois que nous verrons encore le mois d'avril en guerre...

 

Périgueux, le 26 janvier 1915

   Ma chère Jeanne.

 Enfin, j'ai reçu de tes nouvelles. Tu m'assure que ce n'est pas grave, je te crois. Tu ne voudrais pas me dire de mensonge, mais dis-moi, qu'est-cre que c'est que cette fiévre qui ne veut pas te quitter ? Au moins, soignes toi bien et surtout, ne va pas commettre d'imprudence et vouloir te lever trop vite. D'ailleurs, puisque tu le peux, tu n'as qu'à faire ce que te dit le major. Letaille et Dumetz avec qui je suis en ce moment vous présentent leur amitiés. Letaille est désembusqué et mit à l'instruction des auxilliaires.
   Je t'embrasse trés fort.
   Embrasse maman et Henri pour moi.
   Ton tout dévoué.
                    EMMANUEL

 

Périgueux, le 28 janvier 1915

   Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.
 
 Je vous remercie de vos bonnes lettres et vous prie de continuer, ainsi je serai au courant de vos santés et de ce qui se passe chez nous. Je suis bien content que ma Jeanne continue à mieux aller et que maintenant, et que, pour quelques jours, vous voilà tranquille des soldats. Elle va pouvoir se lever un peu mais que surtout, elle est bien soin au froid. Ici il géle bien fort, ce qui me fait augurer de la température de chez nous. C'est cependant du bon temps qui va vous permettre de sortir le fumier sans trop d'intéret pour le tréfle de la grande piéce. Vous me dites aussi que vos fagots diminuent : c'est fâcheux. Peut-etre feriez-vous bien de faire couper la haie sur chez Devigne, vous en auriez ainsi un peu de réserve pour le four. Probablement que votre fabrication de cidre est interrompue par cette gelée ?
  Letaille qui croyait être pour longtemps aux cadres des éclopés, vient d'être relevé et mis à l'instruction des auxilliaires comme caporal. Il partira donc au feu avec eux .. La semaine passée, il avait refusé d'être sergent fourrier pour être plus tranquille. Dans ce métier, on ne sait jamais comment faire...Dumetz, qui est père de quatre enfants, ne doit pas partir au prochain détachement, qui aura lieu, comme je vous le dit toujours : personne ne sait quand...On nous entraîne tout doucement. Cet aprés-midi, nous devons faire, auxiliaires compris, 25 kms avec le chargement à peu prés complet. Pour nous, c'est un jeu, mais les auxi rentrent fourbus...
  Je vous ai déjà dit, je crois, que bien des voisins sont ici à Périgueux, artilleur pour la plupart : Noeuvéglise de Beauvoir, Vicart de Nuncq, les garçons du capitaine de Nuncq, le maréchal de Buire, Sosthéne Goullant y était aussi mais il est reparti au front, je crois, sans que je l'ai vu. Je suis bien content qu'Olympe ait des nouvelles de son mari. Dites lui bien des choses quand vous la verrez. Je termine encore une fois, en vous embrassant bien fort. Que Jeanne n'ait pas peur, je ferai ce que je lui ai promis ! qu'elle embrasse ses parents et les enfants d'Alfred pour moi. De gros baisers à Henri.
                  VOTRE EMMANUEL
Bien des choses à Mme Dersigny et sa famille ainsi qu'à Mr Leclercq qui doit être bien peiné.

 

Périgueux, le 30 janvier 1915

   Mes biens chers.
 
  Je suis étonné de ne pas avoir reçu de vos nouvelles depuis deux jours. Je ne sais que penser, surtout, vous sachant souffrante. J'espére cependant que ce soir, le vaguemestre m'apportera une lettre, car je suis de garde à la gare et ne serai pas à la distribution. Il parait qu'il y a départ pour le front, jeudi. Je ne pense pas en faire parti. A demain, une lettre et de gros baisers.
                  VOTRE EMMANUEL

 

Périgueux, le 3 février 1915

      Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Voici encore un détachement de parti et je suis triste en vous écrivant. Pourquoi ? Parce que voilà bientôt trois mois que je suis avec eux et, ils ont beau être du midi, je sais que beaucoup ne reverront plus les leurs. Ils sont partis les uns en chantant, chants forcés, les autres en colére de repartir si vite, d'autres, enfin, en pleurant et cela m'a touché. Je pensais aussi que le 14 (jour de mes trente cinq ans) et exactement 3 mois aprés mon retour au dépôt. Il y a encore un autre détachement et qu'alors, je ne serai probablement plus aussi heureux qu'avec celui-ci. Alors, forcément, ma pensée se reporte vers vous, mes bien chers. Cependant, j'ai l'espoir que je vous reverrai un jour et que Dieu ne m'abandonnera pas. La France n'a-t-elle pas assez lavé ses fautes dans le sang de ses enfants et ne peut-il pas enfin avoir pitié d'elle ?
  J'ai reçu deux lettres de Jeanne. Je suis bien content que la maladie n'aura pas de suite surtout si elle suit son régime. Je suis aussi content que vous allez avoir un peu de repos, vos soldats étant enfin partis. Gout marche-t-il enfin un peu ? Ce n'est plus le moment de faire la noce et s'il n'a pas beaucoup d'avoine à semer cette année, il y a bien d'autre travail qui, je crois, doit rester en arrière. Les blés doivent être beaux car, jusqu'à présent, il n'y a guére de mauvais temps et ils promettaient bien.
  Bocquillon m'écrit qu'il vient me voir dimanche. Je ne l'ai pas vu depuis son départ de St Astier. De Léon, aucune nouvelle. D'Alfred, j'attends toujours une réponse àma lettre. Je vois, par Jeanne, qu'il n'est pas encore trés fort et pas trés apte à aller dans les tranchées. Qu'il reste à St Clément, c'est tout ce que je lui souhaite. Letaille compte aussi repartir avec ses auxiliaires. Sa femme est toujours à Labourse à l'ambulance. Elle soigne en ce moment d'étranges malades (des pouilleux). Je la plains et l'admire en même temps car c'est une corvée que bien peu voudrait faire.
  Je remercie Henri de sa belle image. Je la conserverai. Je vous embrasse bien fort. Bien des choses à tous.
                      VOTRE EMMANUEL
(bar central - Périgueux)

 

Le 4 février 1915,

         Cher Henri,

 Maman Jeanne me dit que tu réclames une carte. Je m'empresse de te satisfaire. Elle me dit que tu es toujours bien sage. J'en suis content. Prie toujours le bon Dieu pour que ton père reste le plus longtemps possible à Périgueux et peut-être t'exaucera-t-il ?
   Embrasse bien tes mères et grand père pour moi ainsi que tes cousines.
   Embrasse aussi maman Aimée comme je t'embrasse bien fort.
   Ton père qui pense à toi.
                            EMMANUEL

 

Périgueux, le 7 février 1915

       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri

  Le proverbe dit " l'homme propose et Dieu dispose". Hier encore, je vous disais que je ne comptais pas quitter Périgueux avant une quonzaine et demain, j'en suis parti pour toujours. Je vais au 76° régiment d'infanterie dont le dépôt est à Rodez. De là, il n'y a rien à cacher, ce sont les tranchées. "Aléa jacta est". Mais surtout, ne vous alarmez pas trop. Comme me dit Jeanne dans sa lettre d'aujourd'hui, j'en suis revenu une fois, j'en reviendrai bien deux et puis n'ai-je pas vos priéres et celles de mon Henri pour me protéger ?
  Aussitôt mon arrivée là-bas, je vous donnerai ma nouvelle adresse. Cependant, continuez à m'écrire tous les jous, quelques lettres parviendront bien à m'arriver..
  D'Alfred, plus de nouvelles ? Je vais lui envoyer un mot.
  Bien des choses à tous, et à vous tous, mes meilleurs baisers avec mon meilleur souvenir.
    Adieu, mes bien aimés.
                   EMMANUEL

 

Périgueux, le 9 février 1915

       Mes biens chers.
 
  Je suis encore ici pour aujourd'hui. Ce matin, nous passons la revue en tenue de départ, c'est à dire, armée de pied en cape et chargés comme des bourricots. Il parait que nous allons dans les tranchées du côté d'Arras. Est-ce possible ? Il faut vous dire que tout cela est propos de soldats. Surtout, ménagez-vous et soigner-vous bien afin que dans quelques mois, nous puissions nous retrouver et ensemble oublier ces terribles moments. En revanche, je vous promets, tout en faisant mon devoir, de ne pas m'exposer inutilement.
             De gros baisers et au revoir.
             Celui qui pense toujours à vous.
                        EMMANUEL

Ecrivez moi toujours ici tant que je vous donne une nouvelle adresse.

 

Boffles, le 11 février 1915.
 
     Mon cher Emmanuel.

  Mes lettres ont-elles le bonheur de te parvenir? Il serait si pénible que tu reste sans nouvelles. As-tu reçu ton paquet ? J'espére que tu es encore au dépôt à Rodez pour quelques jours ? Nous attendions aujourd'hui, une carte, ce sera sans doute pour demain. N'oublies pas de nous écrire tous les jours, mon Emmanuel. Tu vois, moi, je t'écris sans passer une journée.
  Les soldats sont toujours là. Ils sont trés convenable avec nous et ne nous donnent presque pas de besogne. Le capitaine est un homme trés courageux. La nuit derniére, il a travaillé jusqu'à une heure du matin et, ensuite, il est allé faire sa ronde. Il a été décoré de la médaille militaire, il y a deux mois. Ce n'est vraiment pas sans mérite. Il y a aussi beaucoup plus de discipline que dans les cuirassiers.
  Eugénie est toujours à St Clément. Je ne sais pas encore quand elle reviendra.
  Il fait bon depuis quelques jours, aussi, on a charrié fumier toute la journée. Comme il ne géle pas trés fort, il faudrait faire de petits tombereaux, mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut de Marcel.
  J'espére que ton rhume va mieux. Quantà moi, je continue d'aller bien. Henri est toujours  bien sage et pense, comme nous, à son papa.
  Et maintenant, je te quitte encore une fois, mon Emmanuel, en attendant une lettre demain.
   Ta mère,  mes parents, Henri, Lucile, Jean et Lucien s'unissent à moi pour t'embrasser bien fort. Aimée et sa famille t'envoient bien des choses.
                     Ta Jeanne affectionnée.

  Bon courage, nous nous reverrons certainement. Si parfois, mon Emmanuel, nous perdons courage, adressons au ciel une petite prière. Cela réconforte et redonne aussi l'espoir de se retrouver parmi les siens.

 

 

Périgueux, le 11 février 1915

  Chère Jeanne, chère mère et cher Henri.

  Je suis encore à Périgueux pour quelques jours. Peut-être ainsi, votre colis m'arrivera-t-il ? Letaille et Dumetz sont désolés que je parte, je perds vraiment deux bons camarades. Il faut espérer que nous nous reverrons aprés la guerre. Du courage surtout et n'allez pas de nouveau vous rendre malades en vous désolant. Je vous embrasse bien fort. Votre tout dévoué.
                      EMMANUEL
  Biens chers,
 Nous voici depuis trois heures à la Roche sur Jouarre à quelques kilométres d'Alfred et nous ne partons que ce soir à quinze heures trente pour, soi-disant, l'Argonne. Jusqu'à présent, il ne fait pas trop froid. Souhaitons qu'il en soit toujours ainsi. Si toutefois vous ne m'avez pas encore envoyé d'argent, vous pouvez m'envoyer une lettre recommandée avec des billets dedans. Ce serait préférable. Surtout, ne vous désolez pas trop et soignez vous bien. Je pense àvous et vous embrasse.
    
                          EMMANUEL 

 

Cosne, le 15 février 1915 ( de passage dans cette gare)

  Mes biens chers,
 
 Depuis huit heures, nous sommes ici. Ou allons nous ? Mystére. A vous, toutes mes pensées. Aussitôt que je le pourrais, je vous donnerai mon adresse.
     De gros baisers à tous.
     Votre tout affectueux.
                    EMMANUEL

 

le 16 février 1915: attaque de la butte de Vauquois du 16 au 3 mars 1915

 

le 17 février 1915: attaque de la crête des Eparges.

 

Argonne, le 17 février 1915

             Mes biens chers,
  Me voici arrivé dans l'est. Nous cantonnons en ce moment dans un pays absolument incendié par les boches, en attendant d'aller les voir cet aprés midi, dans les tranchées, de prés, puisqu'on vient de nous dire qu'elles sont à 20 métres les unes des autres. Je crois qu'un grand coup va se tenter. Je suis en bonne santé, pas trop fatigué de 60 heures de voyage. Je crois bien que vous aurez des nouvelles de moi avant que j'en ai des vôtres, car je ne peux pas encore vous donner une adresse exacte, ne connaissant pas la Cie ou je vais être mis. Enfin, je fais partie du secteur postal n°7. Que vous dirai-je encore : que je vous aime beaucoup, que je pense à vous et que je vous embrasse. A bientot.
  Votre tout dévoué.
                   EMMANUEL

 

Le 18 février 1915,

  Le voyage s'est accompli trés bien. Je suis toujours en bonne santé. Il ne fait pas trés froid, mais il pleut, ce qui est peut-être plus mauvais. Je ne peux encore vous donner d'adresse exacte aujourd'hui. Je pensais faire partie du secteur postal n°7 et c'est le n°10. Ce sera sans doute pour demain. Je vous embrasse bien fort.
                         EMMANUEL

 

Le 18 février 1915,
  
   Mes biens chers,
 
  Voici ma nouvelle adresse : 76° régiment d'infanterie      -      8° Cie     -    3° section    -   secteur postal n°10.
   Je me porte toujours bien et j'espére qu'il en est de même de vous. Gros baisers à tous et à plus tard, il faut l'espérer.
      Votre tout dévoué.
                      EMMANUEL

 

Le 25 février 1915,

       Chère Jeanne, chère mère et cher Henri,

  Me voici revenu un peu en arrière, c'est à dire en seconde ligne. Les boches ne sont plus tout à fait aussi prés, aussi, j'en profite pour vous écrire encore un mot. Jusqu'alors, tout va bien, cependant, quel charivari ... Il faut vraiment être blindé. Enfin, encore une fois, à la grâce de Dieu, n'est-il pas vrai ? Personne autre que lui ne peut rien, c'est vous dire que je ne vois notre situation trés belle. Oh, cette guerre maudite, combien de pleurs a-t-elle encore à faire couler ? Et comme il faut du courage. Je n'ai encore rien reçu de vous, pas même les lettres que vous avez écrites à Périgueux, aussi, je me trouve vraiment seul et peut-être ma lettre s'en ressent-elle un peu, et puis, on est vite démoralisé ici. Ecrivez-moi donc souvent. Alors vous pourrez me réconforter et me redonner un peu de courage,  car je m'aperçois que je n'ai plus vingt ans et que ce métier ne me va plus beaucoup. Cependant, je me porte bien et supporte assez facilement les nuits froides passées à la belle étoile. J'espére que vous tous, vous allez beaucoup mieux et que votre prochaine lettre m'apprendra la guérison définitive de Jeanne. Avez-vous pensé à m'envoyer un peu d'argent ? C'est simplement pour lorsqu'on est au cantonnement à l'arriére. Un petit paquet de temps en temps améliorerait aussi l'ordinaire. Ils arrivent trés bien au front. Embrassez bien fort Henri pour moi. A vous, ma meilleur pensée. Votre tout dévoué.
                        EMMANUEL

 

Des tranchées, le 2 mars 1915,
  
     Chère Jeanne, chère mère et cher Henri,

 Comme je vous le mettais sur l'enveloppe, ma lettre étant cachetée, j'ai reçu la lettre de Jeanne, de maman et la carte d'Henri, c'est vous dire combien j'ai été content. Les lettres envoyées à Périgueux ne me sont pas encore parvenues, ce sera sans doute pour demain. Je toucherai alors les vingt cinq francs quand nous serons retournés en arriére pour nous reposer. Ici, vous pensez bien qu'on n'a pas besoin d'argent. Si vous ne m'avez pas encore envoyé le paquet, vous pourrez y mettre de l'amadou à briquet et aussi un peu de tabac. Vous avez droit à un kilo par la poste. Par le train, il mettrait toujours trois semaines à me parvenir. Il vaut d'ailleurs mieux deux fois qu'une, on a toujours assez à porter. Plus de linge, je suis fourni pour un bon moment.
   Je suis toujours en bonne santé et je crois que je me remettrais assez facilement à cette vie, plutôt misérable des tranchées ou le fracas des obus remplace le calme de chez nous, ou les nuits sans sommeil font place au repos dans un bonlit. Dites, suis-je changé ? Moi qui aimais tant à dormir   !!! Enfin, il faut bien espérer que viendra un jour ou tout cela changera et, comme vous dites, on pourra travailler en paix, réunis, pour cette fois, ne plus se quitter.
   L'ami Letaille m'a envoyé aussi de ses nouvelles et me dit vous avoir écrit aussi. C'était vraiment un bon camarade, franc comme l'or et non pas de ces flatteurs comme il en existe encore tant, hélas !!!
    Je vois que vous venez à bout de votre travail, surtout si vous êtes tombées sur un homme à peu prés convenable qui ne va pas se souler trois jours par semaine. Vous me dites que les murs sont abimés, attendez pour les faire réparer que la tourmente soit passée. Vous ne me parlez pas si vous avez fait l'inventaire. Oui, sans doute. J'espére que vous en êtes sorties et que tout est fait pour le mieux.
   Je termine encore une fois, je vous écrirai aussi souvent que possible. Ne m'en voulez pas si je suis quelques jours parfois, ce ne sera pas de ma faute. Bien des choses à tous et à vous, toutes mes pensées.
                        EMMANUEL

 

Des tranchées, le 7 mars 1915,

    Aussi souvent que je le peux, je vous écris. M les boches nous laissent assez tranquilles ce matin et me voilà installé sur mon genou. La nuit a été pluvieuse et froide, aussi, j'ai fait comme beaucoup, je me suis promené des heures entières. Il vaut mieux ainsi que de dormir sous la pluie. J'ai reçu hier soir, 12 lettres et cartes, lettres qui étaient passées par Périgueux, aussi, malgré les obus qui pleuvaient à ce moment, ce fut une grande joie pour moi que de vous lire pendant une demi heure. Il est vrai que c'étaient de vieilles nouvelles, mais çà ne fait rien. J'ai reçu une lettre de Julie et une carte de son frère. Il était alors à Charmont (Marne) en repos.
  Voilà demain quinze jours que nous sommes en tranchées avec seulement une journée de repos dans les bois et on ne parle toujours pas de nous relever. Ca commence à devenir long, il faut espérer que, pour le repos, j'aurais reçu votre paquet et que l'on pourra se restaurer un peu. L'avez-vous adressé au bureau central de Paris ou au dépôt de Rodez ? Il vaudrait mieux au bureau central. Et maintenant, que vous dirai-je ? Que je souhaite que vous soyez toujours en bonne santé et que j'aspire aprés la fin de cette guerre ...
   Embrassez les enfants pour moi et à demain, ilfaut l'espérer.
   Votre tout dévoué.
                     EMMANUEL

 

Dans les tranchées, le 8 mars 1915

      Chère Jeanne, chère mère et cher Henri,

  Nous voici aprés quinze jours de tranchées pendant lesquels nous n'avons eu qu'une journée de repos, revenus un peu en arrière pour prendre quelques jours de repos bien mérités. En arrivant, le vaguemestre m'a remis une carte de Jeanne du 3 et une lettre de maman, un peu plus vieille et aussi, une de ma tante Hortense. Vous me dites que mes lettres ne vous arrivent qu'irrégulièrement, cependant, je vous écris tous les jours. Les vôtres m'arrivent bien, aussi bien si ce n'est mieux qu'au dépôt. J'ai reçu la lettre recommandée, j'avais cru vous l'avoir dit. Il n'y a que le paquet qui n'est pas encore parvenu. Ce sera pour un de ces jours.
     Vous avez cru que je faisais des tranchées. Hélas, celles ou nous sommes, sont faites depuis plus de quatre mois et c'est pour y faire le coup de feu, de tâcher de faire déloger les boches qui sont dans un village depuis presque le début que nous sommes là. Vous devez savoir ou. En tous cas, regardez bien dans ma dernière enveloppe, il y a un petit imprimé qui vous le dira.
     A la fin de la semaine, il parait que nous allons faire une poussée pour les chasser de là, et ce sera pas sans pertes. Aussi, redoublez vos priéres, car votre père, mari et fils sera du nombre de ceux qui attaqueront à la baionnette. Cependant, j'ai bonne confiance quoique sachant que c'est un coup trés dur. Ici, il neige et, dans la grange ou je vous écris, il fait bien froid, aussi je griffonne. J'espére que vous parviendrez à déchiffrer mon grimoire. Ma tante Hortense me dit ne pas avoir reçu de vos nouvelles de longtemps. Ils n'ont plus de soldats, rapport à la fièvre typhoide. Maintenant, je vais dormir quoiqu'il ne soit que onze heures du matin mais je suis fatigué et les heures que l'on passe à dormir dans les tranchées sont bien courtes. Quand pourrai-je enfin me reposer chez nous ?
   A demain, une autre lettre.
   Votre tout dévoué.
                     EMMANUEL

Un gros baiser à Henri.

 

Le 10 mars 1915,
 
  Cher cousin,

  Je te remercie de ta carte qui, ne m'ayant pas trouvé à Périgueux, est venue aux tranchées ou j'étais en train de devenir lapin de garenne. J'ai reçu aussi une lettre de cousine Julie et une de ma tante Hortense. Elles m'apprennent qu'à Rocourt la fièvre typhoide régne et qu'il n'y a plus de soldats. Misére partout.
  A Boffles, Jeanne est guérie mais toujours surmenée par les soldats. Mais quand donc finira cette guerre et pourrons-nous nous réunir et parler des vilains moments que nous avons passés dans l'Est ? Dans quelques mois sans doute ...
   En attendant, j'espére recevoir bientôt de tes nouvelles et t'embrasse bien fort.
     Ton tout dévoué.
                   E LEMAIRE

J'espére que cousine Alida ne se ressent plus de sa maladie ?

 

Le 11 mars 1915, (sur le front)

      Chère Jeanne, chère mère et cher Henri,

   Nous sommes encore en repos jusqu'à ce soir, aussi, j'en profite pour vous envoyer encore un mot, ne sachant pas si demain je trouverai un moment pour le faire. Ce que je ne comprends pas, c'est que vous me dites que vous croyez que je ne reçois pas vos lettres. Si, toutes et régulièrement, elles ne mettent que 4 jours à arriver, plus vite qu'à Périgueux, il n'y a que le paquet qui s'obstine à ne pas venir.
   Je suis bien content qu'Artésia est bien poulinée. Surtout, pas de nourriture échauffante et que je retrouve un beau poulain à mon retour. Comment va l'autre ? Se redresse-t-il un peu ? Avez-vous essayé la pouliche ? Elle n'a pas dû être difficile avec un peu de douceur, vous en viendrez à bout et compter sur moi, ce serait trop long ... J'espére aussi que le fumier est enfin sorti et épars. Vous savez qu'il est grand temps. Ici, il neige et je crois qu'il fait pareil temps chez nous. Je suis bien content que vous ayez trouvé un commis à peu prés convenable, cela doit vous changer de Léon, de Marcel.
  Letaille m'écrit toujours, il se plaint que mes lettres ne lui arrivent pas. Dumetzdoit passer le conseil de réforme cette semaine. Comme nous voilà séparés !! C'est la vie. Cependant, si Dieu le permet, je serai content de les retrouver aprés la guerre, c'étaient vraiment deux bons camarades et, je vous assure que même en temps de guerre, c'est chose rare... Le monde ne sera guère meilleurs aprés. Aussi, que la fin vienne le plus vite possible et que, de nouveau, on vive avec les méchants à qui, alors, on pourra quelquefois clore la bouche...Mon Dieu, que de responsabilité certains n'auront-ils pas à endosser ?
   Ce soir, j'attends une longue lettre, Jeanne me l'a promise dans sa carte d'hier. Si elle m'envoie encore enveloppe et papier, qu'elle ne colle plus l'enveloppe "moment de distraction bien compréhensible en ce moment".
   J'ai reçu aussi une carte d'Eugénie. Elle me donne l'adresse de son frère Joseph. J'aurai du mal à le voir, n'étant pas dans le même secteur, quoique pas trés éloigné de lui. Etes-vous fixés sur la région ou je suis ? Et maintenant, quand finira cette guerre ? Combien de mois encore à souffrir loin des siens, c'est ce quetous se demandent avec anxiété, bien qu'on demande la paix honorable, il est vrai, mais qui nous rendra nos foyers.
  Je termine, mes bien chers, en espérant qu'au prochain repos, je pourrai encore vous en faire une aussi longue.
  Dans votre prochaine lettre, donnez-moi beaucoup de détails. Maman ne m'écrit plus souvent. Je sais bien que vous avez beaucoup de travail, mais il ne faut pas longtemps pour griffonner un mot et cela fait tant de plaisir.
   Embrassez bien fort Henri pour moi comme je vous embrasse.
   Bien le bonjour à tous.
                    EMMANUEL

(dernière lettre reçue)

 

Le 14 mars 1915, (sur le front)

                  Mes bien chers,

        
       je vous envoie encore, avec toutes mes pensées, mes meilleurs baisers.

   Votre tout affectionné.
      
                              E. LEMAIRE

 

le 15 mars 1915: les troupes du 5° C.A. s'emparent du village de Vauquois

le 15 mars 1914: En Argonne, nons avons pris 300 mètres de tranchées entre le Four-de-Paris et Bolante et repoussé deux contre-attaques. Une autre attaque a été refoulée aux Eparges, sur les Hauts-de-Meuse; une autre encore, au nord de Badonviller, en Lorraine.

Le 15 mars 1915, (sur le front)


 EN AVANT,  BONJOUR ET BONS BAISERS A TOUS.

EMMANUEL.

 

                         

 

 

Boffles, le 15 mars 1915,

         Mon cher Emmanuel,

  Nous avons reçu, hier, deux lettres, mais si triste qu'elles nous ont navrées. Nous espérons que tu resteras en repos plus d'une journée ou deux, aprés quinze jours de tranchées. As-tu reçu ton paquet ? Ton rhume est-il passé ? Ne te désole pas, mon cher Emmanuel, reprends courage, aie confiance, déjà une fois tu as été protégé, pourquoi ne le serais-tu plus pour le reste de la campagne ? Dieu ne peut rester sourd aux prières que nous lui adressons chaque jour, et bientôt, espérons le, il fera cesser ce fléau.
  J'ai répondu à la carte de Letaille, dimanche, il t'écrit sans doute encore de temps en temps.
  Aimée et sa famille sont toujours à Boffles, je crois cependant que du côté de leur pays, ça va bien. Ils sont toujours sans nouvelles de madame.
  Alfred est toujours souffrant, il va passer la visite par trois médecins. Sera-t-il admis au conseil de réforme ou passera-t-il dans le service auxilliaire ? Dieu seul le sait. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est incapable d'aller habiter les tranchées.
  On dit que nous allons encore une fois, avoir des soldats artilleurs ou des anglais. Enfin peu importe, que ce soit l'un ou l'autre. Le père d'Eugénie est aussi souffrant depuis un certain temps, il a la gorge malade et, l'on craindrait un chancre. Tu vois par là qu'il ne fait pas gai pour beaucoup.
  Encore une fois, au revoir, mon cher Emmanuel, patience, nous nous reverrons. En attendant, crois au sincére attachement de ta Jeanne.
  Toute la famille s'unit à moi pour t'embrasser bien fort.
   Charles Hivin va aussi repartir. Lucas Gosselin l'est déjà depuis une quinzaine.
   A toi, toutes mes pensées et à bientôt, une lettre.
              Ta Jeanne affectionnée

 

 

 

 

Boffles, le 17 mars 1915

        Cher Emmanuel,

    Nous avons reçu, hier, deux lettres. Quelle joie pour nous, mon cher Emmanuel, de recevoir de tes nouvelles. Sois rassuré, nous pensions que la poste allait être interdite, cela est faux, du reste, je t'envoie une petite découpure de journal qui t'indiquera d'ou émane ce mensonge.
  Nous sommes maintenant en train de bêcher le jardin, tous deux Aimée. Nous allons cet aprés midi planter des pois et aussi quelques routes de pommes de terre. Le petit poulain est trés beau et bien que celui de l'année dernière est toujours à peu prés pareil, on dit qu'il se redressera encore un peu aux herbes. Nous n'avons pas attelé la pouliche, mais on ne sera pas longtemps. Aussitôt le fumier sorti, s'il fait beau temps, pour la fin de la semaine, ce sera fini.
  Es-tu encore en repos et as-tu cette fois reçu ton paquet ? Henri commence demain à aller, lui aussi, au catéchisme. Il sert la messe trés bien. Aussi trouveras-tu, à ton retour, un grand garçon. Toujours il s'unit à nos prières afin que Dieu protége son papa, et lui raméne, aprés son devoir accompli, sain et sauf, parmi ceux qui lui sont chers. Demain, jeudi, il t'écrira soit une carte soit une lettre.
  As-tu reçu celle écrite par Lucile pour mes parents ? As-tu toujours des nouvelles d'Augustin ? Tu nous dis que Dumetz va passer le conseil de réforme, il est donc souffrant, lui aussi, tu ne nous en avais jamais parlé ... Letaille va donc resté seul à Périgueux ?
  Encore une fois, cher Emmanuel, je te dis au revoir, à bientôt de tes nouvelles.
   Toute la famille est en bonne santé et s'unit à moi pour t'embrasser bien fort. En attendant la joie de le faire réellement.
          
             Ta Jeanne affectionnée


Leclercq Michel, ambulance n°5. 1° Corps. Secteur 151

 

 

 

Boffles, le 18 mars 1915

    Mon cher Emmanuel,

 Hier, nous n'avons rien reçu de toi. Ce sera sans doute pour ce soir. Te voilà maintenant rassuré au sujet de la poste. C'eut été vraiment trop pénible, mon cher Emmanuel, d'être l'un et l'autre, privé de nouvelles de ceux que l'on aime. Es-tu encore au repos ou dans les tranchées ? Tu as bien souffert ces temps derniers, nous l'avons appris par le journal. Bien des fois mon Emmanuel, notre pensée va vers toi, le soir, en me couchant, je parle à Henri de son papa. Chaque fois que je m'éveille la nuit, ma première chose est de demander à la Ste Vierge de te protéger. Elle ne restera pas sourde à nos prières, elle te protégera comme elle l'a déjà fait et elle t'accordera la grâce de supporter vaillamment toutes les endurances de cette malheureuse guerre. As-tu reçu ton colis ? Nous en expédierons encore un demain, contenant un camembert, du beurre et un peu de tabac. As-tu la lettre de mes parents ? Tu nous dis ne pas avoir de nouvelles d'Alfred, il a dû cependant t'envoyer une lettre et sa photo. Renard de Frohen est venu aujourd'hui pour Artésia, mais elle ne reprendra pas aussi vite que les années précédentes. Il reviendra dans quatre ou cinq jours. Le petit poulain est admirablement beau ; s'il continue, il promet d'en faire un bon. Félicie est arrivée hier soir pour partir ce matin voir son mari qui se trouve à Airaines. Elle a de la chance de l'avoir encore là ... Le blé à la rue de Noeux et celui derriére les haies sont trés beaux. Le fumier diminue, on a encore été dérangé cet aprés midi pour aller chercher des betteraves et rutabagas, et demain, il faut encore battre. Nous avons livré trois porcs chez Dumont à Frévent, leur domestique est venu les chercher, à 26 sous le kilo. As-tu encore de l'argent ? Si tu en a besoin, fais en la demande assez tôt pour ne pas te trouver sans. Encore une fois, je te quitte, mon cher Emmanuel, en te souhaitant courage, confiance et patience. Des jours meilleurs reviendront pour toi comme pour nous. En attendant cet heureux moment, crois au sincére attachement de ta Jeanne. Toute la famille est en bonne santé et s'unit à moi pour t'embrasser bien fort. A bientôt de tes nouvelles et à toi, toutes mes pensées.
       
              Jeanne

            Mon papa,
  je t'envoie un petit bouquet cueilli par maman Jeanne, il te dira combien nous t'aimons.
                   Henri Lemaire

 

 

 

 

Boffles, le 20 mars 1915

        Cher Emmanuel,

   Nous attendons une lettre ce soir, car c'est le troisième jour que nous n'avons rien reçu. Es-tu toujours dans les tranchées ? Hier, il faisait si froid, il a bien gelé cette nuit. Aussi, combien de fois pensons nous à toi et nous demandons si tu n'as pas trop à souffrir de la rigueur du temps. Aujourd'hui, il fait meilleur, espérons que les plus mauvais jours sont passés.
  Nous avons reçu une lettre de Rocourt. Augustin est toujours en bonne santé. Ils reçoivent ce ses nouvelles deux fois par semaine, et Alida, à peu prés tout les jours.
  Voudrais-tu nous dire, dans ta prochaine lettre, à quel endroit, il faudra mettre la luzerne et aussi du tréfle. Pour ce dernier, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de piéces dans lesquelles on pourra en mettre. Mr Devaux conseillait de mettre de la minette à la commanderie, car il y a eu du tréfle, il y a deux ans seulement. La luzerne, au moulin, ne fera pas grand chose cette année, étant donné qu'il n'y a jamais eu moyen de la travailler.
  Henri prie toujours avec nous pour son papa et continue chaque jour à lui demander de faire cesser bientôt la guerre, et d'être enfin au plus vite, tous réunis.
   Alfred est, en ce moment, un peu grippé. Il a écrit hier qu'il allait un peu mieux, sans quoi, je crois qu'il était question qu'il aille se faire soigner à l'hôpital.
   Pour la photographie d'Henri, que je t'avais promise bientôt, tu devras patienter encore, le photographe ne peut venir à Boffles qu'en allant le chercher en voiture. Cela m'ennuie de ne pas te procurer ce plaisir plus vite.
   Encore une fois, au revoir, mon cher Emmanuel, bon courage, il nous en faut à tous en ce moment. Toute la famille s'unit à moi pour t'embrasser bien fort.
        A toi, toutes mes pensées.
                         Ta Jeanne affectionnée 

 

 

 

Boffles, le 22 mars1915


        Mon cher Emmanuel,

  Nous attendons une lettre ce soir, n'ayant eu q'une carte hier. As-tu reçu tes paquets ? Es-tu en repos ou encore dans les tranchées ? Bien souvent, mon cher Emmanuel, nous nous demandons si tu n'as pas trop à souffrir de la rigueur du temps et des privations de toutes sortes. Il faisait si froid, hier soir et ce matin. En travaillant dehors, j'ai attrapé le pinson comme en plein hiver. Fait-il mauvais ou tu te trouves ?
     Tu nous disais que le fils de Mr Harduin a été tué à l'ennemi. Nous l'avions, nous aussi, entendu dire, mais ses parents n'ont pas reçu d'avis officiel, il est considéré comme disparu, peut-être n'est-il que prisonnier blessé ? A quand la fin de cette terrible guerre, Dieu seul le sait et lui seul peut faire cesser ce fléau. Espérons que bientôt, il exaucera nos prières et celle de notre petit Henri. Alors, ce sera le retour parmi nous, mon cher Emmanuel. Courage, patience et confiance, ce jour viendra et il sera, comme je te l'ai dit, l'oubli de toutes les peines endurées depuis le mois d'août dernier.
  Mr le curé de Fortel compte aussi repartir bientôt, sans doute que, pour pâques, il ne sera plus là. Eugénie a un cousin à la guerre, appelé Julien Fournier, abbé. Elle croyait qu'il lui était arrivé accident, car depuis quelques temps, on ne recevait plus de ses nouvelles chez lui. Elle vient d'en avoir par le curé de Fortel qui s'est informé à Mr l'abbé Lessenne avec lequel, il le savait en relations. Il va trés bien, il est aumônier infirmier et  il s'abrite lui aussi dans un trou de talus.
  Nous avons fini de charrier fumier. Cet aprés midi, on va battre un peu d'avoine et, ensuite, le reste de blé, si les soldats nous en laissent le temps. On a ordre de laisser porte ouverte la nuit, de sorte que, encore une fois, nous allons en avoir. Nous ignorons si c'est l'infanterie ou l'artillerie.
   N'ayant plus rien à te dire aujourd'hui, je te quitte, mon cher Emmanuel, en attendant de tes nouvelles. Demain, je t'écrirai à nouveau. Ta mère, Henri, mes parents, Lucile, Jean et Lucien s'unissent à moi pour t'embrasser bien fort.
                  Ta Jeanne affectionnée

   As-tu reçu le lettre de mes parents, écrite par Lucile ? Aimmée est toujours avec nous, elle va battre et, moi, je retourne bêcher. Encore une fois au revoir et à bientôt.
 A toi, toutes mes pensées
                                Jeanne

 

 

 

Périgueux, le 24 mars 1915
 
         Monsieur et cher collégue,

   C'est une bien douloureuse mission que je me permets de vous prier d'accomplir.
   Mon pauvre camarade, Lemaire Emmanuel vient de mourir en Argonne. Blessé au bras et à la jambe, il venait de se faire panser sommairement et s'apprêtait à sortir de la tranchée quand une balle vint l'atteindre en plein front.
   Il est mort sur le champ et est resté à l'endroit même ou la mort l'a frappé.
   J'ai demandé aux amis d'Emmanuel le nom du village et l'endroit exact ou ce pauvre malheureux repose. Ce renseignement pourra être, par la suite, d'une grande utilité pour sa famille.
   Je crains qu'une lettre annonce trop brutalement à sa veuve et à son infortunée mère, cette terrible nouvelle, aussi, je vous serais trés reconnaissant de vouloir leur apprendre la perte de leur pauvre Emmanuel.
   Je serais trés heureux, si ce n'était pas abuser de votre bonté, d'apprendre comment sa famille a appris la terrible nouvelle.
    Je me tiendrai à votre entière disposition pour tous les renseignements que vous jugerez nécessaires.
     Avec mes remerciements, veuillez agréer, Monsieur et cher collégue, l'assurance de mes sentiments de bonne confraternité.

   E. Letaille - Caporal - 29° Cie 250 Rgt d'infanterie

 

 Boffles, le 25 mars 1915

         Mon cher papa,

  Si tu savais comme on s'est ennuyé de toi, depuis deux jours. Tu nous avais fait à la douce habitude de recevoir de tes nouvelles à  peu prés tous les jours, aussi, nous sommes inquiets et nous nous demandons ce qui peut t'empêcher de nous écrire.
   Deux mots depuis quatre jours, nous serons sans doute plus heureux aujourd'hui.
    Ta petite lettre sera la bienvenue et mes pauvres mamans pourront dormir une bonne nuit au lieu de veiller et de penser à beaucoup de tristes choses.
      Dans cet espoir, cher petit papa, je t'embrasse bien fort.
                  Ton petit Henri qui t'aime bien

 

SUITE.

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